Ali Hirèche

Davidsbündlertänze. Robert Schumann Severin von Eckardstein, Ali Hirèche

Pourles18 ansdesafiancée,Schumanncréacecyclededix-huitpièces.Donts’emparentavecbriodeuxpianistes;l’untel un orfèvre, l’autre un romancier.

Secrètement fiancé à la pianiste et compositrice Clara Wieck, Robert Schumann (1810-1856) lui offre en 1837 un cycle pour piano seul, baptisé Davidsbündlertänze(« Danses des compagnons de David »). Dix-huit pièces pour les 18 ans de la jeune fille, commençant galamment par la citation d’une de ses œuvres, la mazurka des Soirées musicales op. 6 . Le titre renvoie à une confrérie à demi fictive créée en 1833 par Schumann pour défendre l’avant-garde créative contre les « philistins » conservateurs — lui-même s’assimilant à David, roi musicien. Les Davidsbündler recrutent parmi les artistes vivants (dont Clara), les compositeurs morts, et des êtres nés de l’imagination fertile de Schumann, comme le mélancolique Eusebius et l’exubérant Florestan, en qui il dédouble sa personnalité.

Dans les Davidsbündlertänze, Eusebius et Florestan sont partout, que le compositeur inscrive leur nom au-dessus de la portée, ou les incarne musicalement par d’incessants changements de rythme et d’humeur. Comment insérer son propre tempérament d’interprète dans une œuvre aussi cyclothymique ? Pianistes quadragénaires aussi talentueux que discrets, Severin von Eckardstein et Ali Hirèche s’y emploient chacun à leur manière, dans une autre forme de dédoublement. Enregistré en live dans une église à l’acoustique très réverbérée, le premier, au style fluide et soyeux, embrasse le cycle comme s’il s’agissait d’une saga, et peaufine les transitions autant que les climats. Le second travaille en miniaturiste, avec une sonorité plus mate et des tempos plus carrés. Sous ses doigts, chaque pièce devient un tableau à enluminer.

Point de concurrence entre ces partis pris bien défendus, plus soucieux d’expressivité que de spectaculaire, et dont la subjectivité s’exprime aussi par les compléments de programme. Tandis qu’Ali Hirèche ne quitte pas Schumann et enchaîne avec le cycle postérieur, infiniment tourmenté, des Kreisleriana, Severin von Eckardstein inscrit les Davidsbündlertänze dans un contexte musical plus large, avec, en exergue, la Polonaise-fantaisieen la bémol majeur de Frédéric Chopin (1810-1849), et un Chant élégiaque de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) en guise de conclusion. Là encore, les deux options se justifient pleinement.

Critique par Sophie Bourdais
Télérama’ Magazine